
Depuis plusieurs décennies, la relation entre la Russie et l’Iran est perçue comme un axe stratégique clé dans l’échiquier géopolitique mondial, notamment en raison de leurs intérêts communs au Moyen-Orient, de leur opposition aux États-Unis et de leur coopération dans des domaines comme l’énergie, la défense et la diplomatie. Cependant, un scénario où la Russie aurait abandonné l’Iran ouvre des perspectives intrigantes. Cet article explore cette hypothèse, en examinant les raisons possibles d’un tel revirement, les gains potentiels pour Moscou, et les scénarios qui pourraient en découler.
Pourquoi la Russie aurait-elle abandonné l’Iran ?
1. Pressions économiques et sanctions occidentales : La Russie, déjà sous le poids de sanctions internationales depuis l’annexion de la Crimée en 2014 et l’invasion de l’Ukraine en 2022, pourrait avoir cherché à alléger son fardeau économique. Soutenir l’Iran, un autre État paria, expose Moscou à des risques supplémentaires, notamment dans ses relations avec des partenaires économiques clés comme l’Inde, la Turquie ou même la Chine, qui préfèrent éviter des tensions directes avec l’Occident. En abandonnant l’Iran, la Russie aurait pu négocier un assouplissement des sanctions ou un accès accru aux marchés internationaux.
2. Rapprochement avec les monarchies du Golfe : Les relations entre la Russie et les pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, se sont renforcées ces dernières années, notamment via l’OPEP+. Ces monarchies, farouchement opposées à l’Iran, pourraient avoir exercé une pression discrète pour que Moscou prenne ses distances avec Téhéran. En échange, elles auraient offert des investissements massifs dans l’économie russe, des contrats pétroliers avantageux ou un soutien diplomatique dans d’autres dossiers, comme la guerre en Ukraine.
3. Rééquilibrage stratégique avec la Chine : La Russie, de plus en plus dépendante de la Chine, pourrait avoir sacrifié son alliance avec l’Iran pour apaiser Pékin, qui entretient des relations ambiguës avec Téhéran. La Chine, cherchant à stabiliser ses approvisionnements énergétiques et à éviter une escalade au Moyen-Orient, pourrait avoir incité Moscou à se désengager pour préserver un équilibre régional favorable à ses propres intérêts.
4. Fatigue stratégique et recentrage des priorités : Engluée dans le conflit ukrainien et confrontée à des défis internes (économie, démographie, instabilité politique), la Russie pourrait avoir décidé de réduire son empreinte au Moyen-Orient, où le soutien à l’Iran demande des ressources considérables. Un retrait de cet axe permettrait à Moscou de se concentrer sur ses priorités immédiates, comme le contrôle de son « étranger proche » ou la consolidation de son influence en Afrique.
Que gagne la Russie ?
1. Un apaisement avec l’Occident : En échange de l’abandon de l’Iran, la Russie aurait pu obtenir des concessions de l’Occident, comme un gel partiel des sanctions, un accès limité aux systèmes financiers internationaux ou une reconnaissance tacite de ses sphères d’influence en Ukraine ou dans le Caucase. Bien que ces concessions resteraient limitées, elles offriraient à Moscou une bouffée d’oxygène économique et diplomatique. Raison pour laquelle nous avons une entente Trump/Poutine, « Je te laisse l’Ukraine, tu me laisses régler le compte à l’Iran »
2. Un rôle de médiateur régional : En se désengageant de l’Iran, la Russie pourrait se repositionner comme un acteur neutre au Moyen-Orient, capable de dialoguer avec toutes les parties, y compris Israël, l’Arabie saoudite et la Turquie. Ce rôle de médiateur renforcerait son influence diplomatique et lui permettrait de jouer un rôle central dans des négociations sur des dossiers comme le nucléaire iranien ou les conflits en Syrie et au Yémen.
3. Des gains économiques immédiats : Les monarchies du Golfe, riches en liquidités, auraient pu compenser la perte de l’Iran en investissant massivement dans l’économie russe, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures ou de la défense. Ces investissements permettraient à Moscou de diversifier ses partenariats économiques, réduisant sa dépendance vis-à-vis de la Chine.
4. Une réduction des risques militaires : En soutenant l’Iran, la Russie s’expose à des tensions avec Israël, qui mène régulièrement des frappes contre des cibles iraniennes en Syrie, où Moscou maintient une présence militaire. En abandonnant Téhéran, la Russie limiterait les risques de confrontation directe avec Israël ou d’escalade régionale, préservant ainsi ses bases en Syrie (Tartous et Hmeimim).
Scénarii tendant à montrer cet abandon
1. Retrait progressif de la Syrie : La Russie un allié clé de l’Iran a réduit son soutien militaire à Bachar el-Assad avant de le lâcher complétement. Ce retrait était déjà une prémices au désengagement total vis-à-vis de l’axe irano-syrien, laissant Téhéran isolé face à ses adversaires régionaux.
2. Silence sur le nucléaire iranien : Dans les négociations sur le programme nucléaire iranien (JCPOA), la Russie pourrait adopter une position plus neutre, voire alignée sur les demandes occidentales, en échange de concessions économiques. Ce changement d’attitude serait perçu comme une trahison par Téhéran, qui compte traditionnellement sur le veto russe au Conseil de sécurité de l’ONU.
3. Coopération accrue avec Israël : Des accords discrets entre Moscou et Tel-Aviv, notamment sur la coordination militaire en Syrie ou des ventes d’armes russes à des alliés d’Israël (comme l’Égypte), marqueraient un éloignement de l’Iran. Une telle coopération renforcerait la sécurité d’Israël tout en marginalisant Téhéran.
4. Rapprochement avec l’Arabie saoudite : Une série d’accords économiques et énergétiques entre Moscou et Riyad, accompagnée d’une réduction des livraisons d’armes russes à l’Iran, confirmerait un basculement stratégique. Ce scénario pourrait inclure une coordination accrue dans l’OPEP+ pour stabiliser les prix du pétrole, au détriment des exportations (clandestines iraniennes).
Conséquences géopolitiques
L’abandon de l’Iran par la Russie entraînerait des répercussions majeures :
– Affaiblissement de l’Iran : Privé du soutien russe, l’Iran perdrait une partie de sa capacité à projeter sa puissance au Moyen-Orient, notamment en Syrie et au Liban (via le Hezbollah). Son programme nucléaire pourrait être davantage contraint, et ses relations avec la Chine deviendraient encore plus déséquilibrées.
– Renforcement des monarchies du Golfe : L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis sortiraient grands gagnants, consolidant leur influence régionale et attirant davantage d’investissements étrangers. Leur rapprochement avec la Russie pourrait également compliquer les relations entre ces monarchies et les États-Unis.
– Reconfiguration du Moyen-Orient : Sans l’Iran comme contrepoids, le Moyen-Orient pourrait basculer vers une domination saoudienne, mais des rivalités intra-arabes (notamment avec le Qatar ou la Turquie) pourraient émerger. La Russie, en se posant comme médiateur, tirerait profit de ces tensions.
– Impact sur la Chine : Pékin pourrait chercher à combler le vide laissé par Moscou, mais son approche pragmatique limiterait son engagement militaire. L’Iran deviendrait un partenaire encore plus dépendant de la Chine, renforçant l’influence économique de Pékin dans la région.
Conclusion
L’hypothèse d’un abandon de l’Iran par la Russie, bien qu’improbable à court terme, repose sur des dynamiques plausibles : pressions économiques, opportunités diplomatiques et recentrage stratégique. En échange d’une de telle rupture, Moscou gagnerait une flexibilité accrue, des alliances économiques diversifiées et un rôle de confrontation réduit dans une région volatile. Cependant, ce scénario ne serait pas sans risques : il pourrait aliéner des alliés comme la Syrie ou le Hezbollah, tout en renforçant la méfiance de la Chine envers la fiabilité russe. Si un tel basculement se produisait, il redessinerait les équilibres du Moyen-Orient, avec des implications profondes pour l’ensemble des acteurs globaux.
* Par Dr Abdourahmane Kane